La femme en Inde

Publié le par Annick et Jérôme

Le sujet de la femme en Inde est assez complexe et ne vous attendez pas à quelque chose de définitif sur le sujet, surtout après si peu de temps. Quelques idées tirées de l'actualité et de la lecture d'Amartya Sen, évoqué dans un précédent article.

L'Inde doit prochainement, en juillet, élire son président de la République. Il ne s'agit pas d'une élection au suffrage universel, car le Président indien n'a guère plus de pouvoirs que la reine d'Angleterre (un peu plus cependant, car il est commandant en chef des armées), mais d'une élection au deuxième degré, les électeurs étant eux-mêmes des élus (environ 1 million, ce qui n'est tout de même pas mal). Eh bien, le prochain président de l'Inde a toutes les chances d'être une présidente. Ce n'est pas une révolution de voir en Inde une femme au sommet de l'Etat. L'Inde a été le deuxième pays après Israël (Golda Meir) a être dirigée par une femme (Indira Gandhi, la fille de Nehru). Aujourd'hui, Sonia Gandhi, la femme de Rajiv Gandhi assassiné par des militants Tamul en 1994, dirige le parti du Congrès, principal parti de la coalition au pouvoir. Normalement Sonia Gandhi aurait dû être nommée premier ministre en 2004 lors de la victoire électorale de la dite coalition, mais son origine italienne l'a obligée à y renoncer. Cela ne l'empêche nullement d'exercer un véritable pouvoir sur le gouvernement. Il s'agit d'ailleurs de quelque chose de commun à l'Asie du Sud : plusieurs femmes ont dirigé le Sri Lanka et le Bengladesh et au Pakistan Benazir Butho a été à la tête du gouvernement jusqu'au coup d'Etat de Mousharaf.

La mythologie indienne compte par ailleurs de nombreuses déesses et pas des moindres. La plus connue et la plus redoutable est Kali, désse violente, cruelle, qui montre que la femme n'est pas nécessairement symbole de faiblesse. Il y a à Hyderabad un fort Moghol, qui comportait plusieurs mosquées, puisque le conquérant (persan en l'occurence) était musulman, mais à l'emplacement de la forteresse où se trouvaient les gardes, de religion hindoue, se trouvait un temple à Kali, déesse à laquelle ces guerriers rendaient un culte. Les femmes peuvent avoir des fonctions religieuses et nombreux sont ou ont  été les gourous féminins. Par exemple, cette femme, qui a repris l'ashram de Sri Aurobindo, "la Mère".

Peut-on pour autant dire que la femme jouisse d'une parfaite égalité avec l'homme en Inde ? Il s'en faut de beaucoup et on peut énumérer de nombreux exemples à l'encontre de cette idée. Le régime de la dot tout d'abord. Selon la tradition, la femme apporte une dot, qui se négocie lors de l'arrangement du mariage. C'est un tribut très lourd que doit payer la famille de la mariée et dans le passé de nombreux indiens pauvres, en général des paysans sans terre, s'endettaient à vie pour payer le mariage et la dot. Ils empruntaient à des taux usuraires et ne pouvant jamais rembourser ils payaient en nature en travaillant pour le prêteur. Ils se retrouvaient ainsi de facto en situation d'esclavage (bounded labor). Cela a conduit le gouvernement indien à interdire la dot. La femme n'en est pas pour autant libérée de ce fardeau, car le paiement de la dot en espèces a été remplacé par des apports en nature : la mariée vient s'installer dans sa nouvelle famille (où elle devient plus ou moins la servante-esclave de sa belle-mère) avec le frigo, le ventilateur, ou un scooter, toutes choses qui sont bien sûr en rapport avec le train de vie des familles, mais qui peuvent représenter une charge très lourde pour les parents de la jeune femme. Il arrive d'ailleurs, comme l'indiquent Catherine Clément et André Lewin dans leur guide de l'Inde ("l'Inde des Indiens" collection l'autre guide édité chez Liana Lévi), que si les biens annoncés n'arrivent pas, la belle-famille mette le feu au sari (souvent en nylon) de la jeune épouse lorsqu'elle est aux fourneaux pour s'en débarrasser ! Aucune idée de la fréquence de tels comportements, mais ces fait divers sont parlants. Autre discrimination dont souffrent les femmes, leur accès à l'enseignement primaire est bien moindre que celui des garçons. En revanche, elles sont nombreuses dans l'enseignement supérieur et Amartya Sen, qui a enseigné à Oxford, Harvard et en Inde, fait observer que c'est en Inde qu'il avait le plus grand nombre de collègues féminines. On en arrive à l'idée que les discriminations contre les femmes, n'empêchent pas que dans certaines classes sociales, plutôt en haut de l'échelle, elles puissent jouer un rôle de premier plan et qu'elles soient acceptées, on serait même tenté de dire privilégiées pour cela. Cela dit, il ne semble pas que les femmes occupent des places prééminentes dans le monde des affaires.

Mais comme toujours, s'agissant de l'Inde, il faut se méfier des clichés et des généralisations hâtives. A cet égard, il est intéressant de voir que les situations varient selon les régions de l'Inde. Par exemple, le Kerala, Etat du Sud, tout en bas du triangle à l'Ouest. Dans cet Etat la succession est matrilinéaire, la proportion de femmes par rapport aux hommes est supérieure à 1, comme dans les pays développés et à la différences de l'ensemble de l'Inde. Les femmes y sont plus traitées à égalité avec les hommes. C'est un Etat plutôt mieux géré que d'autres, sur la plan sanitaire ou éducatif. On peut y voir une relation de cause à effet, même si d'autres facteurs doivent jouer : le gouvernement communiste ou la forte minorité chrétienne parmi d'autres.

Sur ce thème de la diversité entre les régions de l'Inde, quant à la situation de la femme, Amartya Sen fait une intéressante et étrange constatation, qui mérite qu'on s'y arrête un instant. Il étudie l'écart par rapport à la normale du rappport entre le nombre de filles sur le nombre de garçons, de la naissance à l'age de 5 ans, pour essayer de déterminer s'il y a un déficit de filles, du fait de mauvais traitements, de négligence ou d'avortements sélectifs. Comme vous ne ne le savez peut-être pas la nature produit un plus grand nombre de foetus mâles, certes moins résistants que les foetus femelles, et dans des conditions naturelles (sans avortement sélectif) il naît 95 filles pour 100 garçons. Dans les pays développés (c'est à dire sans discrimination sanitaire influant sur l'état de santé des femmes), le rapport finit par s'inverser, car les femmes sont plus résistantes que les hommes et vivent plus longtemps. Le ratio naturel de 0 à 5 ans est donc 95 filles pour 100 garçons. En Chine ce ratio est de 86 ! On connaît la préférence légendaire de ce pays pour les mâles et l'antique tradition d'infanticide dont étaient victimes les filles. D'autres pays asiatiques, la Corée, Taiwan ou Singapour connaissent la même situation. Par contraste Le ratio indien, qui est en moyenne de 93 (93 filles pour 100 garçons), diverge assez peu du ratio normal (95). Ce qui est surprenant c'est la diversité entre les Etats : en gros au Nord et à l'Ouest le ratio est similaire, voire encore inférieur à celui de la Chine ! Au Sud et à l'Est (dont l'Etat du Kerala mentionné plus haut), le ratio est soit légèrement inférieur à la normale (au Tamil Nadu), soit supérieur. Deux attitudes différentes à l'égard des bébés et petits enfants filles, qu'Amartya Sen ne tente pas d'expliquer, se contentant d'inviter les sociologues à travailler sur la question. La coupure très nette entre deux Indes, ne correspond en tout cas pas à la division entre Etats riches et Etats pauvres. Le Bengale et l'Utar Pradesh, Etats parmi les plus pauvres ont le même comportement que les plus riches (Haryana, Delhi, Penjab).

Il reste que la situation peut évoluer. En effet, la préférence pour mettre au monde des garçons plutôt que des filles est assez répandue et la pratique des avortements sélectifs avait commencé à se répandre, au point que le gouvernement a interdit les examents médicaux permettant d'identifier le sexe de l'embryon. Annick a pu le constater en accompagnant notre domestique chez le médecin, où il  est affiché que les echographies des femmes enceintes sont illégales. Il doit bien sûr y avoir des exceptions pour raisons médicales.

Ces quelques remarques sont bien sûr loin d'épuiser le sujet. Sans doute un des plus intéressants, dans ce pays où on ne peut s'empêcher d'admirer l'allure et le port des femmes, même et surtout dans le peuple.
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